Florient Zwein | Photographe | Paris - France | +33630111188 | florient.zwein@hotmail.fr | 2020
Florient Zwein
Photographe
Les élèves Shaolin du temple Fawang,
une enfance au goût de sueur
Introduction
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Au cœur de la province du Henan en Chine, au pied de la montagne Song, une des cinq montagnes sacrées du taoïsme, se dresse un temple vieux de plus de 1900 ans, le temple Fawang. En son sein se trouve plus d'une centaine d'élèves Shaolin qui apprennent et pratiquent le Kung-Fu depuis leur plus jeune âge pour la plupart. Une enfance particulière faite de rigueur et de discipline, de sueur et de souffrance, de cris et de rires.
I/ Le réveil
5h30. Il fait noir. Le soleil se lève tout juste sur la montagne sacrée Song. Les premières lueurs du jour bercent à peine son sommet qu'à son pied déjà un petit monde s'agite tout doucement. Pour les élèves Shaolin du temple Fawang, la journée commence au son du sifflet. Petit à petit ils émergent de leur sommeil et un à un ils sortent de leur lit. Le regard silencieux, la fatigue est cependant perceptible dans leurs yeux, mais un élève Shaolin ne se plaint pas, la douleur est mentale. L'enfant le sait car on le lui répète depuis sa plus petite enfance. La souffrance est intérieure. Ensuite, les mêmes gestes sont répétés chaque matin, un rituel que chacun a réalisé des centaines de fois. Le pantalon, puis les chaussettes. Les baskets puis la veste. L'élève est prêt pour sa journée. La prochaine fois qu'il rejoindra son lit pour y passer la nuit, il fera toujours noir. D'ici là, l'élève le sait déjà, il va souffrir, entre cris et sueurs.
II / Le commencement
Tout commence par le premier appel. Chaque élève rejoint alors son groupe au premier coup de sifflet de son Shifu, maître de Kung Fu enseignant cet art. Alignés côte à côte sur trois rangées, du plus petit au plus grand. Le bras droit se tend pour marquer la distance avec son voisin, puis un à un ils se comptent en se mettant au garde à vous. Quelques mots brefs de la part du Shifu, un salut discipliné et respectueux puis les enfants entament leur premier exercice. Tout entraînement commence par une petite course pour réchauffer le sang et réveiller les muscles, ce ne sont pas les petits chemins de forêt qui manquent autour du temple. Au retour, les premières gouttes de sueur ont déjà bien coulé mais ce n'est que le début. Quelques étirements et c'est reparti.
III/ Les premiers cris
La journée commence en général par des exercices physiques relativement simples : Des étirements, travail des positions, coups de poing, levé de jambes, grand écart, les coups de pieds sautés et les enchainements appelés Ji Ben Gong. Ces derniers sont des exercices de base fondamentaux, répétés en boucle nombre de fois pour faciliter une intégration sensorielle adaptée à chacun. A partir de ces Ji Ben Gong, les enchaînements de mouvements ou Tao prennent tout leur sens et deviennent dès lors des gestes maîtrisés, remplis et vivants. Les Taos sont travaillés individuellement ou en groupe, avec ou sans armes.
IV/ Le premier repas
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Puis vient l'heure pour les élèves de prendre leur premier repas de la journée, un petit déjeuner fait de légumes et de nouilles la plupart du temps. L'élève reprend quelques forces avant de poursuivre sa journée. Après chaque repas, les enfants doivent nettoyer eux-mêmes leur gamelle et leurs baguettes. Ici pas de personnel pour la plonge, les lessives ou bien le ménage. Ils apprennent dès leur plus jeune âge la vie en communauté, basée sur des valeurs de respect, de partage et d'entraide. Bien plus qu'un simple enseignement d'art martial, ici on enseigne un mode de vie.
V/ La 68ème marche
L'élève les connaît par cœur, ces 67 marches. Il les a montées et descendues des centaines de fois, pour aller à la douche, au dortoir et pour d'autres raisons diverses et variées. Mais ce matin il va devoir les combattre physiquement et mentalement. D'abord les monter en courant puis les redescendre. Puis deux marches par deux marches, voire trois pour certains. Ensuite à pieds joints, deux par deux, voire trois par trois pour les plus téméraires. Les premiers cris des enfants qui montent et qui descendent viennent casser le calme matinal du temple. Mais pas de cris de souffrance, un élève Shaolin ne souffre pas. Certains auront la chance ensuite de monter les marches sans se fatiguer, c'est plus facile lorsque l'on est porté sur les épaules d'un autre. Le porteur lui, porte en silence. Exercices après exercices, les élèves continuent de monter et descendre les escaliers sans relâche. Le seul petit moment de répit se trouve au-delà de la 67ème marche, celle qui ne monte plus, celle synonyme d'un court moment de répit, en attendant de redescendre. Cette marche c’est la 68ème. Mais le repos n'est que très bref et le Shifu n'est jamais très loin.
VI/ La gamelle
De tous les sifflets de la journée, celui-ci est de loin le plus apprécié et le plus attendu de tous : le sifflet du déjeuner. Un à un, chaque élève va chercher sa petite gamelle et ses baguettes puis rejoint son groupe. Un nouvel appel puis groupe après groupe, ils vont remplir leur gamelle d'une nourriture bien méritée. Le service est assuré par les enfants eux-mêmes et la nourriture ne varie pas très souvent. Nouilles, légumes, riz, un morceau de pain, parfois un fruit pour finir.
VII/ Un silence entre deux cris
La pause déjeuner c'est aussi le moment pour les enfants de pouvoir se reposer, les entraînements ne reprendront pas avant 15h30. Un coup de sifflet et le temple retrouve son calme apaisant, pour quelques heures seulement. Tout commence par une sieste qui pour la plupart durera le plus longtemps possible. Pour d'autres c'est aussi le moment de se détendre ensuite en lisant, en jouant aux cartes ou au tennis de table. Certains font une lessive pendant qu'en cuisine on prépare déjà le repas du soir.
VIII/ La reprise
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Un coup de sifflet et le temple retrouve toute son agitation. Une petite course plus tard et les élèves sont à nouveau prêts. Cet après-midi, c'est entraînement au maniement du bâton. L'élève le connaît aussi par cœur, son bâton c'est son meilleur ami. Il sait le faire parler et le faire danser. Sa danse, on l'appelle le Tao, terme signifiant un ensemble de gestes chorégraphiés que chaque élève doit connaître par cœur. Il en existe des centaines dans chaque domaine que l'enfant se doit de connaître et de maîtriser par cœur s’il veut un jour devenir un Shifu. On dit que la perfection n'est atteignable que par la répétition, alors l'enfant répète encore et encore les mêmes gestes, sans cesse, jusqu'à ce que ces gestes soient maîtrisés à la perfection. Sans maîtrise, la puissance n'est rien. Car c'est bien de cela qu'il s'agit dans l'enseignement de cet art martial : La maîtrise de la puissance.
IX/ Le dernier effort
Le soleil du jour commence à descendre dans le ciel. La journée touche bientôt à sa fin. Les enfants prennent leur repas du soir puis effectuent ensuite leur dernier entraînement de la journée : porté de pneus pour certains, exercices acrobatiques et physiques pour d'autres. La lumière brûlante du soleil laisse place à la blancheur de celle des lampadaires du temple. Changement de couleur, mais le décor reste le même, et les gouttes de sueur ont toujours le même goût.
X/ Un éternel recommencement
21h30. Il fait noir. La nuit tombe à nouveau sur le temple Fawang, le calme va reprendre ses droits le temps d'une nuit. Le sifflet retentit pour la dernière fois de la journée. Un dernier appel, un dernier salut et un à un les jeunes élèves rejoignent leurs dortoirs. Ici, les nuits sont courtes et les journées sont longues. Elles sont faites de souffrances et de sueurs, mais aussi de rires et de sourires. Leurs journées sont bien différentes de celles de beaucoup d'autres enfants à travers le monde, mais ils n'en sont pas moins heureux. Leurs journées ne sont pas toutes faites de souffrances et de sueurs. Les élèves ne s'entraînent jamais l’après-midi des mercredi et samedi. Ces jours-là, les enfants ont même droit à la projection d'un film. Quant au dimanche, c'est repos du matin au soir. A partir de septembre, l'enseignement scolaire reprend. Il n'est certes pas aussi élaboré et performant que celui des écoles publiques et encore moins des écoles privées mais cela permettra quand même aux enfants d'obtenir un travail par la suite. Certains finiront dans l'armée, dans la police ou dans des sociétés de sécurité privée, d'autres dans des emplois plus ordinaires. Quant aux plus téméraires, ils finiront à leur tour par devenir Shifu et feront perdurer cet art ancestral et traditionnel aux générations futures.
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En attendant, le corps fatigué, l'élève retrouve son lit. Il ferme ses yeux et s'endort en silence. Tout comme beaucoup d'enfants à travers le monde, c'est en fermant les yeux que les rêves les plus beaux voient le jour. Alors le temps d'une nuit il s'évade un peu. L'enfant s'endort et le temple avec lui. Demain sera un autre jour, pas si différent du précédent.